Éducation Populaire et politiques éducatives :
Après Poitiers, qu’est-ce qu’on fait ?

– Retour sur l’entretien entre le SEP
et la secrétaire d’Etat à la Jeunesse et à l’engagement –

Le SEP UNSA et ses adhérents ont découvert un peu comme tout le monde ce que nous qualifierons comme le dialogue de sourds de Poitiers entre des jeunes réunis par la fédération nationale des Centres sociaux et la secrétaire d’Etat à la Jeunesse et à l’engagement.

Nous avons tout d’abord été choqués de la description des échanges et de la décision d’inspection générale. Nous avons observé les réactions un peu rapides des uns et des autres et avons choisi d’analyser en détail et au plus près des faits, ce qui s’est passé, avant de demander à rencontrer la secrétaire d’Etat pour lui faire part de notre analyse et d’en tirer des perspectives. Elle a aussitôt répondu à notre sollicitation et nous a reçu le mercredi 25 novembre.

Etions-nous légitimes à interpeler la Ministre ? Nous nous sommes posé la question. A la lueur des faits, nous avons ressenti le besoin de nous positionner sur ce qu’était l’éducation populaire et la nécessité du débat contradictoire. Nous avons également ressenti la nécessité de faire preuve de solidarité d’une fédération d’Education Populaire attaquée de toutes parts. Enfin, face à la vague d’expressions de nos collègues et adhérents, il nous a semblé utile que la Ministre puisse entendre cette colère par le filtre d’une position à la fois affirmée et rationalisée.

Nous avons sollicité de nombreux témoignages des acteurs présents à Poitiers (Centres sociaux, la boite sans projet, collègues des services de l’Etat) et d’acteurs nationaux ayant participé aux premières auditions de l’inspection générale. Nous n’avons pas eu le temps, et c’est un regret de solliciter les jeunes présents. Nous voulions prendre position en connaissance de cause dans une affaire complexe, sur un sujet complexe et dans un contexte émotionnel fort (décapitation de Samuel Paty) et qui a suscité des réactions émotionnelles fortes, quelques fois sans connaissance de tous les éléments.

 

La secrétaire d’Etat a été attaquée sur les réseaux sociaux sur ce qui a été perçu comme un déni de l’expression des jeunes, une attitude inadaptée (le chant de la Marseillaise) et un excès d’autoritarisme (l’inspection générale). Nous avons souhaité construire un échange vif et sans compromis sur le fond de notre pensée, mais en même temps tenter de dresser des perspectives de cette situation. Nous avons choisi de structurer notre propos liminaire en relayant les faits, puis en exprimant les émotions ressentis et les besoins, avant de faire part de nos demandes.

Dans cet échange, nous avons exprimé auprès de la secrétaire d’État les émotions telles qu’elles ont été vécues par nos mandants : la colère face aux injonctions paradoxales de l’État à demander au secteur associatif de récoler la parole des jeunes et de refuser ensuite le débat contradictoire, et face à la stratégie de la carotte et du bâton envers le secteur associatif ; La consternation, au regard des raisons du déclenchement d’une Inspection générale face à une institution comme la fédération des centres sociaux, mais aussi au regard du manque de posture éducative dans les débats le 22 octobre au matin tels qu’ils ont été décrits dans les médias ; L’infantilisation, dans la tentative de faire chanter la Marseillaise à une salle, en clôture d’un temps censé permettre l’expression de la contradiction et qui a vu la tentation d’imposer son point de vue (sans remettre en cause sa légitimité) ; De la condescendance vis à vis de la jeunesse, par une élite politique donneuse de leçon incapable d’accueillir la réalité vécue par la jeunesse (fut-elle en perte de repères).

El Hairy

Nous avons également exprimé nos besoins :

  • Donner une autre image de l’Education Populaire. L’Education Populaire, c’est l’éducation à la démocratie et c’est accepter le débat contradictoire,
  • Positionner l’acte éducatif comme un processus long

Les « valeurs » ne se transmettent pas en 3 jours. Les processus d’émancipation et de désaliénation nécessitent du temps, des process de prise de conscience et donc des compétences pour les salariés en charge de cela[1],

  • Acter les nécessaires compétences pour les professionnels du secteur de la jeunesse et de l’Education Populaire

Animer un débat avec des jeunes, « transmettre des valeurs » nécessitent un processus long, une posture, de la confiance avec les publics.

  • Réinterroger le Service National Universel à la lueur des événements : Un autre parcours citoyen doit être pensé, au service d’une ambition éducative émancipatrice contraire au formatage recherché par le SNU. Nous avons une très grande inquiétude vis-à-vis du Service National Universel censé inculquer les valeurs de la République et de l’Engagement avec des intervenants majoritairement titulaires d’un simple BAFA ou des volontaires en service civique sur 10 jours.
  • Reconnaitre et utiliser l’expertise des services Jeunesse et Sports au niveau local.

Lorsque les collègues des services déconcentrés ne sont que très peu ou pas du tout sollicités en amont, pendant et en aval de ce type d’événements, les politiques se privent d’une expertise technique et pédagogique.

[1] Il ne faut pas lire ici une remise en cause de l’organisation de l’événement de Poitiers par les Centres Sociaux. Ils ont, de notre point de vue, mis les moyens nécessaires  pour construire une animation de qualité auprès de ces jeunes qui souhaitaient avoir un espace de débat sur les religions

Nous avons enfin exprimé nos demandes :

  1. Reconnaitre l’éducation populaire par une perspective de politique éducative et des actes qui en découlent,
  2. Lancer un chantier transversal à la filière des métiers de l’animation et de l’Education Populaire (Conventions collectives, Etat, Territoriale, Animation en gérontologie) sur les compétences nécessaires pour faire de l’Education Populaire,
  3. Que la secrétaire d’Etat s’appuie sur les services déconcentrés à l’occasion des déplacements,
  4. Un autre parcours citoyen doit être pensé, au service d’une ambition éducative émancipatrice contraire au formatage recherché par le SNU.

El Hairy Poitiers

Malgré les fortes critiques que nous avons pu lui adresser, nous avons eu une grande écoute de la part de la secrétaire d’Etat. Nous nous rejoignons sur les valeurs de la République et la Laïcité, mais nous avons des divergences sur la posture et les méthodes. Elle semble vouloir se diriger vers un apaisement dans la relation à la fédération nationale des centres sociaux et nous partageons cet objectif.

Pour le SEP, ce fâcheux épisode doit servir de tremplin pour un travail collectif vers une politique d’Etat d’Education Populaire. Celle-ci ne pourra se mettre en œuvre que par une posture permettant l’expression de la contradiction afin de lutter contre les obscurantismes. Les valeurs de la République et la laïcité ne se décrètent pas. C’est le fruit d’un long processus éducatif d’émancipation. Seul ce processus permettra le développement d’une citoyenneté active.

Le secrétariat national du Syndicat de l’Education Populaire UNSA

sep unsa transformation sociale