L’intervention récente d’une élue du  Rassemblement National au Conseil Régional de Nouvelle-Aquitaine (1) en assemblée plénière du 13 octobre 2025, ciblant le « militantisme » des associations d’éducation populaire, n’est pas un acte isolé. Elle est le révélateur d’une crise profonde qui menace le régime de la subvention publique en France. Au-delà des attaques idéologiques, ce sont des mutations structurelles — coupes budgétaires et logique de commande publique — qui fragilisent un pilier de notre cohésion sociale et un partenaire historique de l’École.

1 – La subvention : un pilier du « faire société » à la française

Lorsqu’on parle de subvention publique à une association loi 1901, de quoi parle-t-on ?

Trop souvent réduite à une simple « aide » ou à un « guichet », la subvention est en réalité un outil politique et juridique fondamental, au cœur du pacte républicain.

Contrairement à la commande publique (un marché public ou un appel d’offres), qui voit une administration acheter une prestation pour répondre à un besoin qu’elle a elle-même défini, la subvention est d’une tout autre nature.

Elle est définie dans la loi ESS de 2024 (2) , et par la « circulaire Valls » de 2015 (https://www.legifrance.gouv.fr/circulaire/id/40062) comme une contribution financière de la puissance publique destinée à soutenir une action ou un projet initié et porté par l’association elle-même, dès lors que ce projet sert l’intérêt général.

La nuance est fondamentale :

  • Dans la commande publique, l’association est un prestataire.
  • Dans la subvention, l’association est un partenaire.

Ce régime de subvention repose sur la reconnaissance que l’État ou les collectivités ne savent pas tout faire, et que les corps intermédiaires, nés de la société civile (syndicats, associations), ont une légitimité propre à identifier des besoins et à proposer des solutions. L’éducation populaire en est l’exemple parfait : elle n’a pas attendu une commande de l’État pour inventer les colonies de vacances, les centres de loisirs, la formation citoyenne mais aussi les universités populaires, les foyers de jeunes travailleurs, les espaces de débat citoyen ou les lieux d’engagement bénévole qui irriguent nos territoires.

2. Une remise en cause qui vient de loin

Le consensus qui prévalait autour de ce modèle se fissure aujourd’hui sous l’effet de trois lames de fond conjuguées.

  • L’attaque idéologique : le procès en « politisation »

L’intervention de l’élue RN Pauline Garraud en Nouvelle-Aquitaine, s’attaquant aux subventions des grands mouvements d’éducation populaire au motif de leur « approche militante », est symptomatique d’une offensive de l’extrême-droite (mais pas seulement) contre les associations jugées « politiques ».

C’est une méconnaissance — ou une attaque délibérée — de l’essence même de l’éducation populaire. Oui, l’éducation populaire est « politique » au sens noble du terme : son objet est de former des citoyens éclairés, critiques, capables de comprendre le monde pour le transformer. Viser les associations qui luttent contre les discriminations, qui éduquent aux médias ou qui forment à la citoyenneté, c’est vouloir assécher les lieux d’émancipation collective. C’est confondre la neutralité partisane (que ces associations respectent) avec une neutralité idéologique qui n’existe pas et qui n’est pas souhaitable en démocratie.

  • La mutation technocratique : de la subvention à l’appel à projets

Plus insidieuse, mais tout aussi destructrice, est la transformation du financement associatif. Sous la pression de normes de gestion (parfois issues d’une interprétation restrictive du droit européen) et d’une volonté de « rationalisation », la subvention d’initiative (finançant le projet global de l’association) a été massivement remplacée par des appels à projets.

Ce glissement vers la logique de la « commande publique » a des effets dévastateurs :

  • Perte d’initiative : L’association ne propose plus, elle répond à un cahier des charges.
  • Mise en concurrence : Les associations sont mises en compétition entre elles pour des financements de court terme, gaspillant une énergie considérable en montage de dossiers.
  • Perte de sens : L’animateur ou le formateur devient un « opérateur » d’une action décidée par l’administration.
  • Précarisation : Les financements sont souvent annuels, non reconductibles, empêchant toute vision à long terme et toute pérennisation des emplois.
  • L’asphyxie budgétaire : la « rétraction » silencieuse

La troisième lame de fond est la plus évidente : la baisse continue des dotations publiques. Confrontées à l’austérité budgétaire, de nombreuses collectivités (communes, départements, régions) et l’État font des subventions associatives la première variable d’ajustement.

Cette rétraction budgétaire n’est pas sans conséquences. Elle pousse les associations à une course éperdue aux financements, les détournant de leur mission principale, ou les obligeant à augmenter les tarifs de leurs activités, créant une fracture d’accès pour les publics les plus précaires.

Le risque : un tissu associatif affaibli, des emplois menacés

Pourquoi le SEP-UNSA s’alarme de cette situation ?

Parce que l’éducation populaire est un acteur majeur de la cohésion sociale et de l’éducation tout au long de la vie.

Bien au-delà de leur rôle crucial de partenaires de l’École, ces associations sont des lieux essentiels :

  • D’engagement et de lien social : Elles animent la vie locale, permettent la rencontre entre les générations, favorisent la mixité sociale et offrent des espaces concrets d’engagement bénévole, véritable école de la citoyenneté.
  • D’émancipation pour tous les âges : Elles proposent des formations (BAFA, BAFD, mais aussi professionnelles pour adultes), des activités culturelles, des universités populaires et des débats qui permettent à chacun de continuer à se former et à exercer son esprit critique.

Affaiblir ces associations, ce n’est pas seulement affaiblir l’action éducative auprès des enfants ; c’est affaiblir la capacité de notre société à « faire corps » et à former des citoyens actifs.

Les associations d’éducation populaire sont les partenaires historiques et indispensables de l’École publique.

Elles interviennent sur le temps périscolaire, organisent les classes de découverte, forment les jeunes au BAFA, animent les Accueils Collectifs de Mineurs (ACM), et sont souvent en première ligne pour porter des projets sur la laïcité, l’égalité filles-garçons, la lutte contre le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles.

Affaiblir ces associations, c’est donc affaiblir un acteur économique important.

Le secteur associatif n’est pas un « à-côté » de l’économie : il représente plus de 1,8 million de salariés en France, 13% de l’emploi privé, 20 millions de bénévoles. La baisse des subventions et la précarisation des financements par appels à projets menacent directement cet emploi associatif, souvent qualifié et non délocalisable. Entre 2005 et 2020, le CESE a estimé une baisse de 41% des subventions aux associations. Avec les nouvelles baisses annoncées au PLF pour 2026, c’est plus 90 000 emplois menacés.

Notre position : Défendre l’initiative associative

La prise de parole de l’extrême-droite contre l’éducation populaire ne doit pas être prise à la légère. Elle vise à imposer un silence idéologique. Mais le danger le plus immédiat réside dans la banalisation d’un modèle de gestion qui transforme les associations en simples prestataires de services.

(1) Pauline Garraud, élue du Rassemblement national, avait déjà jugé que la danse en Nouvelle-Aquitaine était « un vecteur d’idéologie avant d’être un art » (Rue 89 Bordeaux le 29/03/25). Cette fois elle invoque, à propos du financement d’une proposition de Chartes d’engagement citoyen favorisant l’accès à la culture par l’éducation populaire pour la jeunesse :  » une façade qui masquerait un militantisme politique portée par les mouvements d’éducation populaire contre le Rassemblement National(sic) ».

L’élue considère notamment que la Ligue de l’Enseignement qui prend position contre la Loi immigration et la montée des idéologies néofascistes, « ne fait pas de l’éducation populaire mais du militantisme politique ». Outre la question du positionnement idéologique d’un.e élu.e du RN, c’est l’illustration des démarches électorales populistes auprès de la jeunesse contre l’éducation populaire, engagées par les élus du RN depuis les élections européennes…

(2) La définition légale de la subvention, introduite par la loi ESS du 31 juillet 2014 (https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000029313296)  est inscrite à l’article 9-1 de la loi du 12 avril 2000 :

« Constituent des subventions, au sens de la présente loi, les contributions facultatives de toute nature, valorisées dans l’acte d’attribution, décidées par les autorités administratives et les organismes chargés de la gestion d’un service public industriel et commercial, justifiées par un intérêt général et destinées à la réalisation d’une action ou d’un projet d’investissement, à la contribution au développement d’activités ou au financement global de l’activité de l’organisme de droit privé bénéficiaire. Ces actions, projets ou activités sont initiés, définis et mis en œuvre par les organismes de droit privé bénéficiaires. Ces contributions ne peuvent constituer la rémunération de prestations individualisées répondant aux besoins des autorités ou organismes qui les accordent. »

Pour qu’il y ait subvention, trois critères doivent être réunis :

1.    L’initiative du projet appartient à l’association ;

2.    Le financement public soutient un objectif d’intérêt général ;

3.    L’association est seule chargée de l’organisation et la réalisation de l’action.